Paroles d'expert 4 min

Recherche scientifique : quelles orientations pour les années à venir ?

Rencontre avec Richard Thommeret, éminent spécialiste des polymères.
Recherche scientifique : quelles orientations pour les années à venir ?
Recherche scientifique : quelles orientations pour les années à venir ?

La recherche dans le domaine des polymères a beaucoup tâtonné à ses débuts il y a cent ans... Est-ce toujours le cas aujourd'hui ?

Non, absolument pas et bien heureusement. Mais c’est vrai que, il y a encore une trentaine d’années, les laboratoires étaient plus tournés vers la recherche fondamentale. Les scientifiques cherchaient de nouveaux matériaux sans trop se poser la question de leurs applications potentielles. C’est seulement après leur mise au point que l’on se demandait à quoi ils allaient bien pouvoir servir. Les débouchés étaient nombreux, ce n’était donc pas un gros problème. Cette méthode avait cependant un gros défaut : elle coûtait très cher et était parfois difficile à rentabiliser même si la croissance des entreprises permettait de la supporter.

Que s'est-il donc passé en trente ans ?

Comme beaucoup d’autres secteurs, celui de la chimie s’est rationalisé en se tournant vers les marchés. Cette tendance s’est encore accentuée ces dernières années à cause de la crise économique que nous traversons. Aujourd’hui, nous ne cherchons pas simplement à concevoir un nouveau polymère ou un nouveau composite pour la seule beauté de la science. Si l’industrie de la chimie décide d’explorer de nouvelles voies, c’est avant tout parce qu’elle sait que certains secteurs industriels sont à la recherche de matériaux pour des usages bien précis. Je peux citer, par exemple, l’industrie aéronautique, dont la demande en matériaux plus légers et capables d’encaisser de fortes contraintes ne cesse de croître.

 

Les liens sont donc très forts entre industriels ? 

Oui, et plus particulièrement avec ceux qui sont proches des consommateurs. Comme les polymères, les modèles économiques sont une longue chaîne. Les fabricants de matières plastiques en sont le premier maillon, puis viennent les transformateurs et enfin les industriels, qui commercialisent leurs produits finis auprès du grand public. Ces derniers connaissent bien les consommateurs et répercutent leurs demandes. Pour satisfaire ses clients, tel fabricant de pneumatiques aimerait concevoir un pneu qui économise du carburant, ce fabricant d’articles de sport cherche à commercialiser une chaussure qui moule parfaitement le pied… Actuellement les chimistes n’ont pas la réponse adéquate, mais connaître les besoins du marché leur permet d’explorer ces pistes.

L'amélioration des plastiques déjà existants est-elle un des axes de recherche ?

L’amélioration continue des matériaux est une part importante des travaux. La recherche agit énormément par implémentation. C’est généralement assez long, puisqu’elle n’avance que par petites touches ou par grade. Regardez les premiers phares en polycarbonate des voitures, il y a une quinzaine d’années, ils étaient considérés comme révolutionnaires car ils étaient légers et, à la grande joie des designers, capables de prendre toutes les formes. Ils avaient néanmoins un gros défaut, ils étaient sensibles aux rayures et pouvaient, avec le temps, devenir un peu opaques. Il aura fallu quelques années aux producteurs pour remédier à ces problèmes en améliorant peu à peu la formule de ce polymère.

Justement, vous évoquez les phares en polycarbonate, mais les processus industriels pour leur fabrication sont-ils intégrés dans la recherche ?

C’est là aussi un des grands changements de ces dernières années. L’industrie estime que mettre au point un polymère n’est pas suffisant si elle n’a pas réfléchi aux procédés pour leur mise en œuvre. Là encore, elle travaille avec les transformateurs afin d’adapter ou carrément de concevoir de nouvelles machines capables de mouler par injection ces nouveaux plastiques. La contrainte majeure est avant tout économique car, aussi génial qu’il soit, un polymère ne trouvera aucun débouché si sa mise en œuvre est trop onéreuse. C’est pour cette raison que l’on n’est pas encore prêts de voir la voiture de monsieur tout le monde équipée d’une carrosserie en matériaux composites. Ils sont certes plus légers que l’acier et permettent donc aux véhicules de moins consommer mais ils sont encore trop coûteux. Pour les rentabiliser, l’industrie automobile devrait proposer des véhicules à des tarifs beaucoup trop élevés que ce que le marché autorise.

Actuellement, quelles sont les grandes pistes de recherche ?

Je pense que les grandes familles des polymères n’évolueront pas ou très peu dans les années à venir. Nous avons désormais les bases ! Bien sûr, certains laboratoires peuvent encore annoncer des découvertes extraordinaires, mais elles restent encore expérimentales. Ces centres de recherche ne sont généralement pas capables d’en produire plus que quelques grammes et ce, à des coûts exorbitants. Ceci étant dit, cela permet tout de même de faire avancer nos connaissances de la matière et de la chimie moléculaire. Pour évoquer Solvay, nous nous intéressons depuis déjà quelques années aux matériaux composites car nous sommes certains que les pistes d’amélioration sont nombreuses, notamment pour faire baisser leur coût et les rendre ainsi plus accessibles. Nous prévoyons aussi un grand avenir pour les plastiques dans le domaine des capteurs et senseurs pour l’industrie médicale ou le forage pétrolier par exemple.

L’objectif est double : trouver des plastiques qui résistent à peu près à tout, tout en étant d’une grande finesse. Il est aujourd’hui possible d’imprimer des circuits électriques directement grâce aux polymères – il s’agit de l’organique électronique (OLED) –, un pas supplémentaire vers la miniaturisation extrême que nous recherchons.

Enfin, peut-on considérer le Solar Impulse, dont vous êtes un partenaire majeur, comme un laboratoire ?

Oui, et c’est même une grande chance que nous avons car, avec ce projet, nous pouvons tester dans le monde réel nos principales innovations. Je me souviens, au moment du lancement du projet il y a dix ans, beaucoup de questions semblaient insolubles. A force de travail, nous avons réussi par exemple à créer une sorte de peau pour encapsuler les dizaines de milliers de cellules solaires qui garnissent les ailes de l’appareil. Le tout ne fait que quelques microns d’épaisseur et est assez flexible pour supporter les contraintes de déformation. Nous avons aussi mis au point un nouveau grade de Torlon®, un polyamide-imide qui résiste à des températures de 275 °C et à l’excellent comportement au fluage. Ce polymère compose le squelette des ailes pour lequel nous avons contribué à la modélisation. Nous lui prévoyons de nombreux débouchés, notamment dans le secteur automobile.

Solvay : la recherche en chiffres

15 centres de recherche répartis dans le monde
Près de 2 000 chercheurs
Un budget de 280 M d’euros
Entre 250 et 900 brevets déposés à l’année

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