Paroles d'expert 4 min

Les polymères peuvent avoir un rôle de catalyseur dans nos recherches

Rencontre avec Darja Dubravcic, chercheuse croate et experte en biomimétisme.
Les polymères peuvent avoir un rôle de catalyseur dans nos recherches
Les polymères peuvent avoir un rôle de catalyseur dans nos recherches

En quelques mots, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Il y a une dizaine d’années, j’ai obtenu un doctorat en biologie évolutive. Depuis, je n’ai cessé de faire de la recherche, et je m’efforce de faire interagir ma discipline avec d’autres, comme la sociologie, l’ingénierie, la chimie et les mathématiques. C’est l’une des raisons qui m’ont conduite à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) qui, comme son nom l’indique, est pluridisciplinaire. En tant que référente biomimétisme, je suis à la croisée des chemins de nombreuses disciplines et, pour une fois, je suis très heureuse de constater qu’avec le biomimétisme, c’est la biologie qui vient enrichir d’autres sciences. En effet, pour s’inspirer de ce que la nature fait, il faut avant tout comprendre comment elle fonctionne. Et ce n’est pas toujours simple, car la nature évolue aussi, et ce, depuis près de quatre milliards d’années.

Quels sont vos principaux axes de recherche actuels ?

A l’EPFL, nous explorons plusieurs voies, nous cherchons à mettre au point de nouveaux matériaux, ou encore à produire de l’énergie autrement, via de nouvelles générations de panneaux solaires par exemple. Enfin, nous avons également une division robotique très développée. C’est normal après tout, car c’est par là que tout a commencé. N’oublions pas que le fondement même d’un robot est de reproduire, si possible en mieux, ce que fait le vivant. Nous avons la chance, en tant qu’institution publique, de nous pencher sur des sujets scientifiques qui peuvent intéresser des entreprises privées et qui sont donc prêtes à financer une partie de nos travaux. Nous travaillons ainsi avec des ingénieurs, une catégorie de professionnels à la recherche de solutions plutôt concrètes et réalistes.

Vous évoquiez les materiaux, comment arrive-t-on à créer un nouveau matériau qui s'inspire de la nature ?

Nous n’avons pas la prétention d’affirmer que nous créons à tous les coups de nouveaux matériaux. Le plus souvent, nous utilisons des matériaux déjà existants et cherchons à les assembler, voire à les composer en nous inspirant de ce que fait la nature. Par exemple, il y a quelque temps, nous avons été contactés par Stockli, un fabricant de ski, qui cherchait un matériau capable de rendre les skis très rigides en lignes droites pour gagner en performance, mais suffisamment souples en courbes pour faciliter le virage. Au premier abord, on pouvait très justement penser que c’était là deux propriétés antagonistes. Une de nos chercheuses s’est alors souvenue d’une conférence à laquelle elle avait assisté sur la carapace de tortue. Elle se souvenait que, grâce à la disposition des écailles, cette carapace très rigide conservait une certaine souplesse lorsque l’animal respirait. Après différentes études, nous avons décidé de placer une plaque d’aluminium dotée d’une fente en forme de zigzag collée sur un élastomère à l’intérieur du ski.

La conjugaison de la fente et de l’élastomère donne juste ce qu’il faut de souplesse au ski pour faire un virage rapide et précis. Ce n’est qu’un exemple… Nous cherchons en ce moment à reproduire les propriétés autonettoyantes des pétales de rose.

Et là encore, une conférence vous ai revenu à l'esprit ?

Non, hélas ces coïncidences sont assez rares dans nos métiers. Cependant, les scientifiques du monde entier disposent de bases de données conséquentes et accessibles, comme Google Scholar, Pubmed, Ask Nature… Finalement, nos recherches s’articulent autour de deux axes : le premier, tel le ski, est à lier à une demande. Nous cherchons alors ce que la nature peut nous proposer comme solution. Le second est à l’opposé. Nous constatons une caractéristique de la nature, l’étudions, cherchons à la modéliser et voyons ensuite si nous pouvons concevoir un matériau qui aurait les mêmes propriétés.

Justement, quelle est la place des polymères dans ces matériaux ?

Elle est de plus en plus importante, surtout depuis l’arrivée des imprimantes 3D. Grâce à elles, il nous est désormais possible de créer des formes d’une très grande complexité. Mais ce n’est pas leur seul avantage. Les connaissances de ces matériaux sont de plus en plus fines, et leur évolution est quasi continue. Ce sont des matériaux synthétiques, donc conçus par l’homme, et les chimistes et autres ingénieurs qui travaillent dans ce secteur savent entrer au cœur de la matière. Les nanotechnologies ont fait un bond prodigieux ces dernières années, et il est désormais possible, avec le même polymère, de changer ses propriétés simplement en l’enrichissant de tel ou tel nanomatériau. Ainsi, avec un seul polymère, nous pouvons par exemple reproduire un bec de canard qui sera flexible à sa liaison avec la tête et très dur sur sa pointe.

Les polymères nous permettent également de « jouer » avec la fonctionnalité. Ainsi, de nombreux laboratoires cherchent à trouver les nanostructures capables de changer la couleur d’un matériau. Certains insectes y parviennent bien ! Cela nous permettrait de nous passer de certains pigments qui ne sont pas toujours écologiques. Enfin, il y a notre graal à tous : la patte du gecko, ce lézard qui est capable de marcher sur n’importe quel plafond grâce à la structure de ses pattes

 

Pensez-vous qu'il ait une limite au biomimétisme ?

C’est probable, mais nous en sommes encore loin. Nous l’aurons atteinte lorsque les matériaux seront capables de réagir comme le fait la nature. Par exemple, lorsqu’ils pourront se réparer seuls, à l’instar d’un os, qui est capable de régénérer de la matière en cas de fracture. Mais nos connaissances évoluent très vite, et la résilience de la nature est telle qu’il nous sera certainement toujours difficile d’en percer tous les mystères.

Cet article vous a plu ? Vous allez aimer les suivants !