Paroles d'expert 4 min

À chaque déchet, son sponsor et ses brigades de recyclage

Rencontre avec Laure Cucuron, Business Development Manager de Terracycle, une start-up américaine spécialisée dans la collecte de matériaux difficiles à recycler.
À chaque déchet, son sponsor et ses brigades de recyclage
À chaque déchet, son sponsor et ses brigades de recyclage

Terracycle est-elle une entreprise ou une ONG ?

Statutairement, c’est une entreprise. Elle a d’ailleurs été créée, par Tom Szaky, qui, au cours de ses études à Princeton, a décidé de commercialiser un engrais organique produit à partir de déjections de vers. D’emblée, il a souhaité que ses produits soient emballés dans des bouteilles et flacons récupérés dans le cadre du premier programme de collecte par la « Bottle Brigade ».

Ce n’est qu’après avoir assuré le succès de son engrais dans les magasins spécialisés que TerraCycle a diversifié ses activités de recyclage non-conventionnel en créant de nouvelles « brigades » autour du concept de "Déchet Sponsorisé ».

En quoi cela consiste-t-il ?

Nous nouons des partenariats avec des marques de grande consommation, dont les produits sont inadaptés aux circuits de recyclage traditionnels afin qu’elles parrainent et donc financent en partie la collecte et la valorisation des déchets générés. S’agissant, par exemple, des instruments d’écriture qui sont des produits difficiles à recycler, nous avons fait appel à deux poids lourds du secteur, Bic et Papermate, pour mettre en place une nouvelle filière.

Mais ce « sponsoring » ne permet pas seulement de financer chaque nouvelle filière de recyclage. Il s’inscrit dans un modèle économique qui vise aussi à rétribuer les consommateurs engagés qui prennent la peine de collecter ces déchets difficiles à recycler dans le cadre de nos différents programmes.

Les collecteurs aussi sont donc rémunérés ?

Pas exactement ! Terracycle fait appel à leur motivation pour le recyclage mais ne leur verse pas de rémunération en argent mais une gratification, sous forme de points équivalents au volume de déchets collectés par leurs soins. 

Avec ces points, les collecteurs ne peuvent rien acheter pour eux-mêmes. Ils sont destinés à financer des dons aux nombreuses associations partenaires de Terracycle à travers le monde. 

Concrètement, si vous acceptez de gérer des bacs de collecte, généralement de simples cartons, de les expédier au frais de Terracycle, une fois remplis, vous accumulerez des points, sur votre compte en ligne. Vous pourrez ensuite convertir ces points pour, au choix, financer l'analyse d’un échantillon d’eau de mer ou l'achat d'arbustes à Haïti, de poulets d'élevage au Burkina Faso, d'abeilles au Maroc ou encore assurer l'entretien d'une salle de classe au Cambodge…

Quels types de produits ou d’emballages sont concernés ?

Le nombre et le type de « brigades » dépendent des pays et de leurs habitudes de consommation.

Aux Etats-Unis, zone d’origine de la société, il existe 36 programmes de collectes spécifiques pour un large éventail de produits depuis les tablettes, les smartphones, les baskets jusqu’aux capsules d’expresso, aux paquets de bonbons, en passant par les mégots… 

En Europe, c’est l’Angleterre qui propose la plus grande diversité de « brigades ». Mais, les volumes collectés sont souvent plus importants dans les autres pays.

Quand avez-vous décidé de créer la « brigade des instruments d’écriture » et pourquoi ?

Ce programme a commencé en 2010 aux  Etats-Unis, en partenariat avec Paper mate. Il a été lancé fin 2010, au Royaume-Uni et début 2011, en France, avec le soutien de Bic. Et désormais, il est opérationnel dans 19 pays d’Europe. 

Plusieurs facteurs ont motivés la création de cette « brigade », à commencer par le fait que ces produits ne faisaient l’objet d’aucun recyclage. Or, on constate que les consommateurs, notamment les jeunes d’âge scolaire, sont très sensibles à cette problématique. Les grands industriels du secteur le sont aussi, par conséquent, et se montrent très réceptifs aux solutions que le département R&D de Terracycle peut leur proposer. Et, une fois, la filière opérationnelle, ces marques y trouvent évidemment un bénéfice en termes d’image.

La brigade des instruments d’écriture ne recycle-t-elle que les produits de la marque partenaire ?

Certaines brigades s’appuient un partenariat exclusif axé sur le recyclage des déchets d’une seule marque. Mais plus généralement, quand elle vise une catégorie de produits, comme les instruments d’écriture, la collecte porte sur toutes les marques présentes sur le marché, sous l’égide d’un seul partenaire. Dans le cas présent, Bic a donc accepté de financer la création d’une filière de traitement et de recyclage des différents stylos à bille, feutres, porte-mine, surligneur, correcteurs et effaceurs utilisés en Europe. Ce fabricant « sponsorise » aussi les déchets de ses concurrents mais bénéficiera à lui seul des retombées médiatiques de l’opération.

 

Quelles difficultés avez-vous du surmonter pour le recyclage de ces produits ?

Le principal problème tient à la présence de différentes matières plastiques et parfois de métal dans des objets de petite taille dont le poids moyen est estimé à 10g. Le procédé que nous avons mis au point consiste donc à séparer les plastiques des métaux, lors d’un premier tri. Puis, au cours de la seconde étape, la plus longue et complexe, nous faisons en sorte de séparer les trois principaux polymères qui nous intéressent : le polyéthylène, le polypropylène et le polystyrène…  Ils sont ensuite transformés en granulés qui seront vendus à des industriels de la plasturgie voire utilisés pour la fabrication de produits Bic en plastique recyclé.

Qui sont les collecteurs impliqués dans cette « brigade des instruments d’écriture » ?

Il faut d’abord signaler que c’est le programme de loin le plus « populaire » si l’on considère le nombre de participants. En France, Terracycle mobilise actuellement 2609 « équipes de récupération » et 1200 au Royaume-Uni. La moitié d’entre elles sont implantées en milieu scolaire, environ 15% dans des entreprises et plus d’un tiers, à domicile mais le plus souvent, dans un but associatif. Ces équipes sont majoritairement animées par des femmes, âgées de 25 et 50 ans. Notez cependant qu’un réseau de la taille de la « brigade » Française draine, en fait, de 3 à 5 millions de collecteurs.

 

Quel volume de déchets parvenez-vous à recycler ainsi ?

Ce dispositif permet de collecter plus de 8 millions d’instruments d’écriture, en Europe, soit près de 80 tonnes de matières plastiques. La « brigade » Française assure, à elle seule, près de 40% de cette collecte. Elle est suivie par les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l’Espagne qui, ensemble, collecte environ 46% des matériaux à recycler.

 

 

Quels sont vos objectifs ?

Compte tenu de sa popularité et du retard observé dans certains pays européen, je pense que ce programme offre encore de belles perspectives de développement. En Allemagne, notamment, où nous avons actuellement moins de 1000 équipes de récupération, tout reste à faire.

POUR EN SAVOIR PLUS

www.terracycle.fr

Cet article vous a plu ? Vous allez aimer les suivants !