Au quotidien 6 min
En avant la musique, avec les plastiques !
La facture instrumentale a toujours privilégié l’usage de matières nobles : ivoire, nacre ou bois précieux… Confronté à leur raréfaction, le secteur fait désormais appel aux matériaux innovants comme les plastiques pour répondre à aux attentes des musiciens amateurs comme des virtuoses les plus exigeants.
En avant la musique, avec les plastiques !
En avant la musique, avec les plastiques !

Les polymères jouent sur la corde sensible

La touche de plastique donne le ton

La petite histoire prétend que la première matière plastique, le celluloïd fut mise au point pour remplacer l’ivoire des boules de billards. En réalité, la pénurie touchait nombre d’autres métiers comme la facture de pianos. 
Durant tout le 19e siècle, de nombreux brevets ont été déposés pour la finition des touches, en verre, émail, os, corne, nacre, perle ou porcelaine… L’arrivée des matières synthétiques a été une aubaine !
Au celluloïd a succédé, dans les années 20 la galathite, un polymère thermodurcissable issu de la caséine du lait. Après la Seconde Guerre Mondiale, les facteurs ont introduit, pour les touches blanches, différentes résines issues de polyester et appelées « pudiquement » ivoirine, ainsi que des composés phénoliques, en substitut de l’ébène des touches noires, jugé déjà trop coûteux.

Ces matières seront détrônées, dans les années 60 par les résines acryliques, utilisées en couverture des touches traditionnelles en bois des pianos classiques ou pour la fabrication des touches 100% plastiques des nombreux instruments à claviers électroniques : orgues, synthétiseurs et pianos numériques.

Les méthacrylates entrent en scène 

Après plus d’un siècle d’ébénisterie traditionnelle, l’esprit Art Déco a enfin orienté les facteurs de piano vers de nouveaux matériaux. En 1929, Pleyel, ouvre le bal avec un piano à queue en verre cerclé de cuivre. En 36, Blüthner crée un petit modèle en duralumin pour les Zeppellin, suivi en 37, par Rippen, avec un piano en aluminium, fabriqué en série seulement en 1948. Peu avant l’entrée en scène des méthacrylates.
Avec son Glas Piano présenté en 1951, la maison Schimmel a longtemps eu l’exclusivité des pianos transparents. Jusqu’au lancement dans les années 80, des modèles Crystal du japonais Kawai.

 

Aux Pays-Bas, la Crystal Music Company ne conçoit que des pianos en Vitroflex transparent et imprimé dans la masse. Le français Gary Pons, marie l’aluminium et l’Altuglas, dans sa gamme Plexart. 
Malgré un design soigné, à cent lieues du kitchissime Baldwin de Liberace exhumé pour le biopic de Soderbergh, ces pianos ont du mal à s’imposer sur les grandes scènes classiques. Du moins tant que Las Vegas reste en dehors du circuit.
Plus récemment, certains facteurs se sont même fait une spécialité de ces pianos destinés à une clientèle fortunée. Voire excentrique !

 

Le plastique roule des mécaniques

Le premier mécanisme en plastique installé sur un piano bon marché à la fin des années 40 n’a pas seulement séduit par son coût très compétitif. Garante d’une qualité de fabrication régulière, cette innovation assurait surtout une meilleure stabilité de l’instrument à la température et à l’humidité.  D’où l’intérêt affiché bientôt par des maisons aussi célèbres que Mason & Hamlin, aux Etats-Unis et Pleyel, en France. Hélas, le choix de PVC mal formulés s’avéra problématique. Vieillissement prématuré, manque d’élasticité, fragilité… Les défauts faillirent ruiner l’avenir pianistique des polymères. Et la réputation de ces marques prestigieuses.
Le néerlandais Rippen aura plus de succès, dans les années 60, avec son Lindner, un piano droit léger doté d’un cadre en aluminium et d’une mécanique associant de nouveaux plastiques dont le nylon.

Mais c’est le japonais Kawai qui, au tournant des années 70, impose définitivement le plastique en utilisant l'ABS (acrylonitrile butadiène-styrène) dans ses modèles haut-de-gamme. Mieux encore, il fait de son innovation, le mécanisme Millennium en ABS et fibre de carbone, une marque très prisée.
Il faudra cependant attendre les années 2000 pour que les nouveaux matériaux remplacent aussi l’érable ou l’épicéa des tables d’harmonie. 
C’est chose faite, depuis 2007, avec les modèles Phoenix de Steingraeber & Söhne qui associent bois et fibre de carbone. En 2012, le facteur britannique Hurstwood Farm Piano Studio a franchi un pas supplémentaire en présentant, au salon de Crémone, un prototype de piano à queue doté d’une table d’harmonie et d’un cadre tout en matériau composite.

Un fondu du plastique lance la vogue de l'Ukulélé

Hector Sommaruga, l’inventeur du sax Grafton, n’est pas le seul pionnier de l’usage du plastique dans la musique. Son compatriote Mario Maccaferri a suivi la même voie, avec succès, outre-Atlantique. 
Une fois fortune faite dans la fabrication d’objets en plastique – des pinces à linge aux anches de saxophone – cet homme d’affaires habile et guitariste émérite, revient à son métier d’origine, la lutherie. 
En 1950, il lance l’Islander, un ukulélé conçu pour le chanteur Arthur Godfrey et fabriqué en Styron, un polystyrène de Dow Chemical. Bingo !  D’une trentaine d’exemplaires en janvier, la production passe à 1188 en février puis à 18 900 en mars. Elle se stabilise, en mai, autour de 2500 pièces par jour alors que, déjà, des concurrents sont sur les rangs.

Qu’importe ! Maccaferri crée des variantes de l’Islander, aux coloris bariolés,  de luxe, baryton ou en série limitées au nom de vedettes du moment… Et même une guitare, commercialisée dès 1953, avec moins de succès.
Au total, il vendra plus de 9 millions d’instruments entre 1950 et 1969, date de l’arrêt de la production. Mais ne lancera jamais son violon en plastique.
Resté au stade de prototype, pour lequel Maccaferri a investi 350000 dollars, l’instrument sera dévoilé au public, en 1990 au Carnegie Hall… Et accueilli par la presse, avec ironie mais sans mépris !

Les Rockers restent de bois !

L’avènement des guitares et basses électriques, dans le sillage du rock et de la pop-music n’a pas vraiment suscité l’engouement pour les matériaux de synthèse. Et, pour cause : la gratte n’a pas de caisse de résonnance, elle sonne mais ne résonne pas ! Pas questions pour autant de renoncer au bois, même pour les « solid body », à corps plein. Aujourd’hui encore, la plupart des guitares obéissent à cette tradition imposée par les modèles de légende, en bois précieux, comme la Fender Stratocaster ou la Gibson Les Paul.
Même pour les finitions, le traditionalisme est de rigueur dans le haut-de-gamme où on privilégie toujours les laques nitrocellulose, développées dans les années 20 pour les carrosseries des belles américaines. Les vernis polyuréthanes, polyesters, acryliques sont réservés aux guitares moins prestigieuses … Comme les grattes tout plastique, aux apprentis rockers.

La Guitare Acoustique table sur les composites

Initiée avec l’Islander, la greffe des polymères dans la lutherie a finalement réussi sur les guitares acoustiques. Plus question cependant de fabriquer des instruments bon marché à partir de pièces en résine moulée ! L’objectif désormais est de remplacer les bois traditionnels par des matériaux synthétiques faciles à façonner et au moins, sinon plus performants, en termes de légèreté et d’acoustique. Une approche seulement possible pour les instruments haut-de-gamme.
Tous les luthiers engagés dans cette voie optent pour la solution composite, à base de résines polymère à renfort en fibre de carbone. Elle a déjà fait de nombreux adeptes, en Amérique, avec les guitares folk Blackbird, Ovation ou Rainsong. En Europe, seul l’irlandais Emerald Guitars défend la bannière des composites depuis une dizaine d’année. Depuis, un petit cercle de luthiers et de guitaristes classiques expérimentent eux aussi la facture composite.

Jouer en toute transparence sur le cello 2.0

Moins « vieux jeu » que les guitaristes de rock, les violonistes n’hésitent pas à arborer des instruments aux lignes futuristes, en résine composite ou non. Plus qu’une passion du design, ils manifestent ainsi un souci d’ergonomie. C’est que, malgré son absence de caisse de résonnance, le violon électrique souffre de surcharge pondérale. Avec souvent plus de 700 grammes, sur la balance, contre 500 grammes en moyenne pour un violon classique de bonne facture… Et 370 grammes pour un Stradivarius, avec ses cordes. La différence pèse parfois lourd sous la mentonnière. L’usage de résines polymères est souvent la seule solution pour recréer un profil adapté à la posture du musicien.

Bayer Material Science a poussé cette logique à son paroxysme en créant le Cello 2.0. Ce violoncelle futuriste arbore, autour d’un corps effilé en polyuréthane aliphatique, une magnifique volute en polyuréthane transparent. Compromis entre l’élégance, la légèreté et la stabilité, cette architecture vise plus que l’ergonomie. L’ambition est aussi de faire du Cello 2.0 un instrument de musique interactive.
Les LED’s et mini-projecteurs vidéo intégrés au corps de l’instrument affichent des effets graphiques sur la face transparente. Autant de signaux qui traduisent la virtuosité du musicien ou trahissent, au contraire, ses maladresses.

 

Le Violon Acoustique prend le large

L’intérêt des luthiers pour les matériaux innovants progresse aussi dans le monde, réputé plus conservateur, des violonistes classiques. 
En 1989, Luis Leguía, violoncelliste de l'Orchestre symphonique de Boston et passionné de navigation, a eu l'idée de créer un violoncelle en fibre de carbone. Après avoir construit trois violoncelles, il a fait appel à l’architecte naval Steve Clark, patron du célèbre chantier naval Vanguard Sailboats pour lancer une gamme complète d’instruments. 
Du violon à la contrebasse, toute la famille des cordes, en version composite, est aujourd’hui réunit sous la marque Luis & Clark. 
En Europe, la société allemande Mezzo-Forte, fabricant d’archets à l’origine, est la seule engagée sur ce terrain. Elle a lancé une série de violons en fibre de carbone en 2011 et, depuis 2012 un alto et un violoncelle.

Avec sa fibre synthétique, corrus vend la mèche

Bien qu’attachés à une technique de fabrication inchangée depuis 250 ans, les archetiers n’hésitent pas à diversifier les matériaux. Les archets en fibre de carbone, plus durables que leurs cousins en Pernambouc, ont désormais leur place dans beaucoup de catalogues. Et pas seulement en entrée de gamme où le prix et la durabilité de ces archets « composite »  séduisent les étudiants. 
Quant aux modèles de haute facture, ils sont de plus en plus prisés par les musiciens professionnels à la recherche d'une alternative fiable à leurs archets en bois, très sensibles aux variations de température et d’hygrométrie.

Moins capricieux, côté baguette, les archets en fibre de carbone restent cependant très délicats côté mèche. À tel point même, qu’un musicien professionnel doit en changer tous les trois mois, en moyenne. Quand ce n’est pas plus souvent tant la qualité des crins - provenant de Mongolie –  a tendance à se dégrader.
Gilles Colliard, violoniste de l'Orchestre de chambre de Toulouse, a trouvé la parade. Avec l'Institut français du textile et de l'habillement (IFDH) et ses collègues, il a mis au point une nouvelle mèche à partir d’une fibre synthétique baptisée "Coruss".
Testés pendant plusieurs mois par l’orchestre, les nouveaux brins en matériaux composites ont donné toute satisfaction. Ils présentent un diamètre homogène, sont hydrophobes et donc ne s’allongent pas, en atmosphère humide. Résultat, ils durent deux fois plus longtemps.

Le Mylar a le rythme dans la peau

Ouverts à toutes les expériences, les fûts des percussions acceptent une grande variété de matériaux, métaux comme l’aluminium, matières synthétiques comme l'acrylique, la fibre de verre ou le carbone et, de préférence encore des panneaux de bois multiplis.
Côté vibration en revanche, l’utilisation de peaux synthétiques s’est imposée à la plupart des percussions, de la batterie à l’orchestre symphonique. 
Preuve de l’importance de cette invention, elle est revendiquée aujourd’hui par deux célèbres marques de percussion, Evans et Remo, fondées dans les années 50 par les batteurs ainsi nommés.

La seule chose sur laquelle les deux prétendus pionniers s’accordent : le problème posé et la solution trouvée. Tous deux cherchaient un matériau plus solide que la peau de veau et moins sensible aux variations de température et d’humidité… Et chacun de leur côté, ils ont eu l’idée de tendre un film polyester Mylar sur un fût !
À défaut de trancher la question de l’antériorité, il est sûr qu’à partir de 1957, les principaux fabricants des peaux ont adopté les membranes polyester tout en améliorant la qualité et la diversité de leurs produits. 
Ils proposent aujourd’hui des peaux «simples», d'un seul film, plus ou moins épaisses à résonance maximale et à l’attaque nette, ou des peaux doubles au son plein d'harmoniques mais moins réactives. Les finitions également ont leur importance. Opaques, transparentes ou imprimées, selon le look recherché, les peaux sont aussi sablées pour obtenir l’effet « coated » sous les balais.

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